Gilles Yabi: «Ce n’est pas la Cédéao qui est en crise, c’est l’Afrique de l’Ouest»
Au Bénin, les putschistes ont été mis en échec, hier, avec l'aide du Nigeria voisin, qui a mené des frappes aériennes contre le camp militaire de Cotonou où ils s'étaient retranchés. Et dimanche soir, quatre pays de la Cédéao, l'organisation sous-régionale de l'Afrique de l'Ouest, ont annoncé qu'ils déployaient des troupes sur place pour protéger l'ordre constitutionnel. Est-ce à dire que, malgré la crise qu'elle traverse, la Cédéao n'est pas morte ? Gilles Yabi est le fondateur et le directeur exécutif du centre de réflexion citoyen Wathi. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. RFI : « Je salue le sens du devoir de notre armée et de ses responsables qui sont restés républicains et loyaux », a dit Patrice Talon dimanche soir. Est-ce que, de fait, les mutins sont tombés sur un état-major qui est resté loyal au président de la République ? Gilles Yabi : Oui, à l'évidence, c'est un groupe de mutins qui ne semble pas avoir reçu de soutien d'une partie significative des forces armées béninoises. Et à partir de ce moment-là, on ne peut que saluer le fait qu'effectivement les forces armées soient restées loyales et aient contribué à faire échouer cette tentative qui reste assez mystérieuse. D'où ces images, dimanche soir à la télévision béninoise, avec le chef de l'État, aux côtés du chef de la Garde républicaine, pour bien montrer que cette unité stratégique était restée à ses côtés… Oui, tout à fait. Je pense qu'il s'agissait, pour le président Patrice Talon, déjà de montrer qu'il était sain et sauf, de montrer qu'il était aux commandes et de montrer effectivement le soutien de la hiérarchie militaire béninoise dans cette épreuve, qui est sans doute sans précédent au Bénin. Est-ce que le rejet de la candidature du principal parti d'opposition à la présidentielle d'avril prochain est une source de mécontentement dans la population, dont les mutins ont peut-être essayé de profiter ? Alors que ces problèmes de gouvernance politique existent, je crois que, factuellement, on peut tout à fait répondre positivement. Mais le fait qu'il y ait bien sûr ces reproches qui puissent être faits, cela ne veut pas dire, évidemment, qu'il y a un nombre significatif de Béninois qui seraient prêts à adhérer à une aventure militaire. C'est un pays, le Bénin, qui a connu, un peu comme le Nigeria d'ailleurs voisin, des années d'instabilité avec des régimes militaires. Et ce souvenir reste tout à fait présent. Je crois que ce que la plupart des Béninois souhaitent, c'est la stabilité politique, mais aussi l'État de droit et peut-être le retour effectivement à une gouvernance qui soit beaucoup plus basée sur des règles qui soient définies collectivement. Alors, c'est dimanche, en fin d'après-midi, que des frappes à l'arme lourde ont visé le camp de la périphérie de Cotonou, où s'étaient retranchés les mutins. Et quelques heures plus tard, l'armée de l'air du Nigeria a déclaré à l'Agence France-Presse qu'elle était intervenue dans ces combats. Est-ce à dire que le président Patrice Talon a bénéficié du soutien de son voisin, le président Bola Tinubu ? Oui, sans doute parce qu'on a vu aussi très rapidement un premier communiqué de la Cédéao qui, au fond, active sa Force en attente. Et donc, cela pourrait être une manière de donner une légitimité et une légalité à l'action de l'armée nigériane en soutien aux forces armées béninoises. Et on a appris en effet, dimanche soir, que le président en exercice de la Cédéao ordonnait le déploiement immédiat d'éléments de la Force en attente, au Bénin. N'est-ce pas le signe, depuis dimanche soir, que la Cédéao n'est pas morte ? Oui, bien sûr qu'elle n'est pas morte. De toute façon, elle ne l'était pas avant les événements au Bénin. Elle ne l'est toujours pas. Bien sûr, elle est affaiblie, c'est une réalité. Mais j'ai souvent coutume à dire que ce n'est pas la Cédéao, en réalité aujourd'hui, qui est en crise, c'est l'Afrique de l'Ouest qui est en crise. Il n'y a pas d'organisation régionale qui existe en dehors des États membres, y compris des États membres les plus importants qui auraient dû être les forces motrices de l'organisation et qui ont cessé de l'être au cours des dernières années, parce que ces forces motrices étaient elles-mêmes confrontées à des problèmes internes. Est-ce que cette annonce, cette Force en attente qui est déployée au Bénin par le Nigeria, le Ghana, la Côte d'Ivoire et la Sierra Leone, ce n'est pas un fait nouveau qui montre que ces quatre pays s'unissent pour essayer de mettre un terme à la grave crise que traverse l'Afrique de l'Ouest ? En tout cas, c'est un signe qui est important. Après, je pense qu'il y a une question de capacité, de disponibilité. Ce n'est pas parce que ce sont ces quatre pays, dans le cas de cette crise au Bénin, qui se mobilisent et sont mobilisés par la Cédéao, ça ne veut pas dire nécessairement que ce sont ces quatre pays qui veulent restaurer une forme de crédibilité au niveau de l'action régionale. Et je crois que beaucoup aujourd'hui se rendent compte de l'importance de préserver le cap de cette intégration. Et je pense que ce qui est important, c'est que les populations elles-mêmes, aujourd'hui, ouest-africaines, se rendent compte qu'elles doivent participer à l'effort de restauration de la crédibilité de la Cédéao.